Sauveteurs sans port

Quit­ter le quai pour aller sauver des vies par tous les temps, de jour comme de nuit, c’est dur. Quand il n’y a pas de quai, c’est encore plus diffi­cile. Trac­teur, aéro­glis­seur, bateau amphi­bie… Les béné­voles ont mis au point de nombreuses tactiques pour mener leur mission à bien, en toutes circons­tances. Nous avons fait le tour des stations sans port.

Un aéroglisseur à la station de Berck-sur-Mer à marée basse
La station de Berck-sur-Mer teste un aéroglisseur lui permettant d'intervenir à marée basse sur les grands bancs de sable du Pas-de-Calais © Morgan Söderström

Urgent-Urgent-Urgent. Recherche conduc­teur de trac­teur

Voilà ce que l’on pouvait lire le 5 décembre dernier sur la page Face­book de la station de sauve­tage SNSM de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais). Expli­ca­tion ? À Berck, il y a des Sauve­teurs en Mer, indis­pen­sables pour de nombreuses missions, dont le sauve­tage des migrants. Mais ne cher­chez pas le port. Il n’en existe pas. Le grand pneu­ma­tique semi-rigide (SR) de 7,80 mètres avec ses deux puis­sants moteurs de 115 ch doit être mis à l’eau et récu­péré à l’aide d’une remorque et d’un trac­teur sur une plage. Imagi­nez la préci­sion néces­saire au conduc­teur pour posi­tion­ner correc­te­ment sa remorque et son trac­teur dans les vagues, assez loin pour larguer ou récu­pé­rer l’em­bar­ca­tion, pas trop pour ne pas se faire submer­ger. Pensez à l’ha­bi­leté du barreur reve­nant de mission qui doit viser pile entre les ridelles de la remorque, avec assez de vitesse pour être manœu­vrant et se jeter dans le filet disposé aux deux tiers de la longueur pour le stop­per. Et n’ou­bliez pas le sang-froid du conduc­teur qui doit démar­rer immé­dia­te­ment, sans caler, avant que la prochaine vague ne cherche à reprendre l’em­bar­ca­tion. Pimen­tez tout cela avec la nuit et le brouillard, et servez bien froid…

Des sauve­teurs sans port, on en trouve un peu partout sur les côtes ouest de la métro­pole, notam­ment en Bretagne et dans le Coten­tin. Au XIXe siècle, nombre d’entre eux mettaient à l’eau et récu­pé­raient sur une remorque, tirée par des chevaux ou des hommes car il n’y avait pas de trac­teur, le canot qu’ils propul­saient à l’avi­ron à la force de leurs bras ! Les sauve­teurs sans port sont plus rares aujour­d’hui, mais c’est toujours une diffi­culté supplé­men­taire.

Le cauche­mar des trac­teurs

À Jullou­ville, au sud de Gran­ville, dans le dépar­te­ment de la Manche, la prési­dente de la station, Géral­dine Chré­tienne, avoue que son équipe et elle-même sont profon­dé­ment fati­gués par tous ces à-côtés de leur mission. Le trac­teur, c’est un peu le cauche­mar de cette passion­née de sauve­tage, béné­vole à la SNSM depuis l’ado­les­cence. La station en a déjà perdu un, enlisé, puis submergé par la mer. L’ac­tuel fait illu­sion avec sa pein­ture rouge impec­cable. Malgré les heures de rinçage et d’en­tre­tien, à chaque sortie, il rouille de toute part. Chan­ger démar­reurs et alter­na­teurs fait partie de la routine. En plus, il faut une déro­ga­tion de la préfec­ture pour le faire tour­ner régu­liè­re­ment à vide sur la plage afin qu’il reste opéra­tion­nel !

Les bénévoles de Jullouville utilisent un tracteur et une remorque pour mettre leur semi-rigide à l'eau
Les béné­voles de Jullou­ville (Manche) utilisent un trac­teur et une remorque pour mettre leur semi-rigide à l’eau © SNSM

La « complainte du trac­teur » revient partout où les béné­voles sont obli­gés d’y avoir recours. On l’en­ten­dait à Port­sall (Finis­tère) avant que la station ne se dote d’une embar­ca­tion amphi­bie. À Urville- Nacque­ville, près de Cher­bourg, dans le nord du Coten­tin, une partie du problème a été réso­lue par l’ac­qui­si­tion d’un trac­teur « enjam­beur » de vignes, dont toute la moto­ri­sa­tion et le poste de pilo­tage sont plus hauts pour passer au-dessus des ceps, et, pareille­ment, au-dessus des vagues. Quads, 4×4, trac­teurs… Chaque station se débrouille comme elle peut, selon la confi­gu­ra­tion locale. À Agon-Coutain­ville, sur la côte ouest du Coten­tin, l’ar­rière du trac­teur est prolongé sur 1,50 mètre pour lui permettre de rentrer moins loin dans l’eau.

Le manie­ment de ces engins est rare­ment aisé. Mais, faute de mieux, on fait avec.

En plus, ces petits tracteurs, anciens mais pas trop, avec le moins possible d’électronique sensible à l’humidité, deviennent de plus en plus difficiles à trouver.
Baptiste Fantin
Directeur technique de la SNSM

Les engins à chenilles, étanches, dont disposent les sauve­teurs britan­niques (la Royal natio­nal life­boat insti­tu­tion, ou RNLI) coûtent une fortune. Dona­teurs – indis­pen­sables soutiens des sauve­teurs –, ayez une pensée parti­cu­lière pour ces stations si vous tombez sur un trac­teur pas trop gros, pas trop compliqué, pas trop cher, qui cherche une retraite utile à la collec­ti­vité.

Les sauveteurs de Jullouville retournent leur bateau à la force  des bras pour repartir plus vite à la prochaine intervention
Les sauve­teurs de Jullou­ville retournent leur bateau à la force des bras pour repar­tir plus vite à la prochaine inter­ven­tion © SNSM

La galère des remorques

Les trac­teurs ne sont pas les seuls à poser problème. Les remorques aussi amènent leur lot de souf­frances. De nombreuses stations sans port utilisent un équi­pe­ment dit de « type RNLI », qui s’en­fonce loin dans les vagues. Grâce à sa forme en U, il peut lancer une embar­ca­tion proue en avant vers le large, hélice dans l’eau. L’équi­page, déjà à bord, n’a qu’à tirer la manette des gaz pour prendre la mer et gagner de précieuses minutes. La partie de plai­sir commence au retour des sauve­teurs, lorsqu’il faut repla­cer le semi-rigide sur la remorque dans le bon sens pour être opéra­tion­nels à la prochaine alerte.

À Jullou­ville, cela se fait en deux temps. D’abord, on récu­père le semi-rigide afin de le mettre au sec. Puis l’équi­page glisse sous la quille un plateau à roulettes qui sert à retour­ner le bateau à la force des bras (voir photo ci-dessus) et le posi­tion­ner correc­te­ment sur la remorque. Un véri­table exploit quand on sait qu’un SR de 7,50 mètres pèse dans les 2 tonnes à vide. Le nouveau grand SR à timo­ne­rie de la nouvelle flotte – le NSC2 –, dont le premier exem­plaire est en test à la station d’Agon-Coutain­ville, pèse pour sa part 5 tonnes…

Diffi­cul­tés avec les trac­teurs, galères de remorques… On comprend qu’après avoir regardé d’un œil parfois scep­tique des solu­tions alter­na­tives qui pouvaient avoir l’air de « gadgets », la SNSM s’y inté­resse de plus près depuis quelque temps.

L’aé­ro­glis­seur, une réponse possible

Pour un certain nombre de Sauve­teurs en Mer, la récu­pé­ra­tion des « isolés par la marée » est la routine des grands week-ends, vacances et jours de grande marée. Des impru­dents qui, malgré tous les aver­tis­se­ments, partent à pied trop loin, trop long­temps à marée basse et oublient que ce qui était le fond de la mer un peu plus tôt va le rede­ve­nir sans tarder.

Cela arrive souvent dans la baie de Somme et celle du Mont Saint-Michel. Mais aussi à Berck-sur-Mer, dont les longs bancs de sable sont répu­tés. Comment atteindre assez rapi­de­ment les personnes que le retour de l’eau met en danger dans un paysage où alternent parties immer­gées et émer­gées ? À pied ? En pneu­ma­tique ? En scoo­ter des mers ?

Depuis le mois de novembre, la SNSM teste un aéro­glis­seur à Berck-sur-Mer. Avan­tages ? L’en­gin se déplace sur un cous­sin d’air, indif­fé­rem­ment sur l’eau, le sable ou le bitume, voire sur des zones inter­mé­diaires de vase, par exemple. Cette solu­tion plaît bien à Emma­nuel Pichard, le président de la station de Genêts, dans la baie du Mont Saint-Michel. Ainsi, il la préfère à une embar­ca­tion amphi­bie sur roues, que la vase aurait du mal à porter. De plus, un aéro­glis­seur peut se dépla­cer presque aussi vite qu’un semi-rigide, entre 15 et 20 nœuds. Enfin, il descend et remonte faci­le­ment sur sa remorque – un plan incliné – en utili­sant son cous­sin d’air.

Le modèle testé à Berck-sur-Mer a les dimen­sions et l’al­lure d’un gros Jet-Ski®, avec sa selle pour trois personnes au milieu et son guidon pour le conduc­teur. Romain Pappa­lardo, soutien tech­nique local, qui parti­cipe à l’ex­pé­rience au nom de la direc­tion tech­nique, explique le fonc­tion­ne­ment : «  Il y a deux moteurs simples [NDLR : genre moteurs de tondeuses quatre temps], un pour la susten­ta­tion et un pour la propul­sion. L’en­gin a une coque en poly­es­ter et flotte sur l’eau si on arrête la susten­ta­tion ou qu’elle est en panne. La propul­sion est assu­rée par une grande hélice aérienne, proté­gée dans une cage et située derrière les passa­gers, et la direc­tion par des volets verti­caux en carbone à l’ar­rière de cette hélice. »

Ni quille ni hélice dans l’eau, la machine a donc tendance à déri­ver en cas de vent laté­ral. Il faut alors avan­cer en crabe, comme un bateau dans le courant. Le pilote met le nez dans une direc­tion inter­mé­diaire entre le côté d’où vient le vent et le point où il veut se rendre. Par vent arrière, il faut rester manœu­vrant, donc aller plus vite que le vent. L’aé­ro­glis­seur attei­gnant une vitesse entre 15 et 20 nœuds, il n’est pas faci­le­ment manœu­vrable dans toutes les direc­tions au-delà de 15 nœuds de vent. Pour s’ar­rê­ter, on ne peut pas enclen­cher la marche arrière comme sur un bateau. Elle n’existe pas. Donc on ralen­tit et on réduit la susten­ta­tion pour que le frot­te­ment sur le sable ou sur l’eau freine l’en­gin. Malgré ces limites, Romain, qui faisait partie des scep­tiques au départ, est main­te­nant plutôt convaincu. Reste à voir comment le maté­riel sélec­tionné va se compor­ter dans le temps, si son entre­tien n’est pas trop pesant (lavage soigné à l’eau douce après chaque sortie pour élimi­ner le sel et le sable) et s’il supporte bien la mer. Construit en Suède, cet aéro­glis­seur a été conçu pour le sauve­tage. Il est équipé d’un gyro­phare et un empla­ce­ment pour une civière est prévu d’ori­gine. Mais il est plutôt destiné aux eaux inté­rieures. « Nous aurons donc quelques exigences de mari­ni­sa­tion – étan­chéité des circuits élec­triques, par exemple – si nous donnons suite à l’ex­pé­rience et en comman­dons pour d’autres stations après une année d’ob­ser­va­tion », précise Baptiste Fantin.

Le SR amphi­bie, un moyen d’ave­nir

« Maman les p’tits bateaux, qui vont sur l’eau, ont-ils des jambes ?  » « Mais non, mon gros bêta, ils ont des roues. » En tenue de mer, tranquille­ment assis à 1,50 mètre au-dessus du sol, sur le SNS 7–004 Docteur Labbé, nous tour­nons comme si de rien n’était dans la rue du Port, qui longe le magni­fique mouillage de Port­sall (Finis­tère), tota­le­ment à sec en ce début d’après-midi. Hors saison, les habi­tués, à vélo ou en voiture, ne s’étonnent pas de croi­ser sur la route ce semi-rigide de 7 mètres monté sur roues. Le patron, André Le Gall, tourne son volant comme s’il était sur un trac­teur. La direc­tion agit en même temps sur la roue avant et sur le moteur hors-bord à l’ar­rière, inutile pour le moment. On n’en­tend qu’un bruit de tondeuse, prove­nant d’en dessous des sièges. C’est le moteur auxi­liaire, qui met sous pres­sion le circuit hydrau­lique servant à manœu­vrer les roues et à les rele­ver le moment venu, comme un train d’at­ter­ris­sage.

Port­sall est parfai­te­ment adapté à cet engin de la marque néo-zélan­daise Sealegs, décou­vert en Afrique du Sud par un des équi­piers de la station : sable ferme pas trop en pente, quelques petits rochers bien repé­rés et lais­sant la place de passer. Bruno Chan­try, le troi­sième de l’équi­page, montre sur la droite l’amas de rochers dans lequel les sauve­teurs devaient aupa­ra­vant se frayer un chemin à marée basse, parfois de nuit, pour retrou­ver l’an­nexe pneu­ma­tique permet­tant de rejoindre le canot de sauve­tage au mouillage. Avec l’am­phi­bie, ils gagnent énor­mé­ment en sécu­rité et en confort, mais surtout en délai d’ap­pa­reillage, ce qui est essen­tiel pour le sauve­tage.

À Portsall (Finistère), les sauveteurs utilisent depuis peu  un semi-rigide amphibie capable de rouler sur l'estran
À Port­sall (Finis­tère), les sauve­teurs utilisent depuis peu un semi-rigide amphi­bie capable de rouler sur l’es­tran © SNSM

Le SR entre peu à peu dans l’eau. Au moment critique, celui où les roues vont décol­ler du fond, on sent les cahots des vague­lettes de sable, mais pas encore la houle, qui ferait cogner les roues sur le fond, alors que, dehors, ça souffle sérieux en ce 11 janvier. Pour que la machine reste manœu­vrante, il faut que le pilote baisse et démarre le moteur hors-bord suffi­sam­ment tôt sans pour autant racler trop sur le fond.

Le rele­vage des roues est telle­ment rapide et silen­cieux que l’on en prend à peine conscience. Une devant, deux derrière, rien sur les côtés, rien qui traîne dans l’eau. Main­te­nant, nous sommes sur un vrai semi-rigide.

Nous dépas­sons tranquille­ment la bouée de mouillage qu’uti­lise le grand canot tous temps SNS 083 La Port­sal­laise quand la météo est moins menaçante (aujour­d’hui, il est abrité à Saint-Pabu, sur l’Aber Benoît, proche). À mesure que nous avançons vers la passe et le large, les cahots deviennent des chocs, qu’il vaut mieux encais­ser debout, accro­ché à une main courante, comme sur n’im­porte quel SR fran­chis­sant la houle à bonne vitesse. Le poids de la roue à l’avant n’em­pêche pas le nez de soula­ger pour traver­ser les vagues. On sent juste l’em­bar­ca­tion un peu plus lourde, bien assise dans l’eau, sécu­ri­sante quand elle vire ou prend la mer de travers. Un Sealegs de cette dimen­sion est un vrai moyen de sauve­tage auto­nome. C’est d’ailleurs le rôle que vont jouer les deux prochains, déjà comman­dés pour deux autres stations du Finis­tère sud : Argen­ton - Pors­po­der - Lanil­dut (pour le site d’Ar­gen­ton) et Ploues­cat.

Après une courte séance de grand huit dans la houle des passes, nous rentrons à près de 20 nœuds sans que le SR, bien calé sur sa coque alumi­nium et ses boudins gonflés, ne nous rappelle, à aucun moment, ses parti­cu­la­ri­tés d’am­phi­bie. À l’ap­proche du sable, il redes­cend discrè­te­ment ses solides jambes en alumi­nium dès que le sondeur indique 2,50 m sous la coque. Vers 70 cm, on sent les roues toucher.

L’en­gin revient tranquille­ment au garage et le patron nous montre comment, sur un banc de sable ou un parking, il peut écar­ter ses roues pour descendre et, par exemple, faci­li­ter l’em­barque­ment d’une civière ou d’un blessé. Certes, c’est un inves­tis­se­ment : 130 000 € pour celui-ci, 164 000 € pour celui de Pors­po­der. « Mais c’est un trac­teur et une remorque de moins », se réjouit déjà le président, Gilles Rolland, qui, pour le moment, a deux trac­teurs et deux remorques à Argen­ton et Lanil­dut.

Comme souvent quand une orga­ni­sa­tion évolue, elle connaît une période de tâton­ne­ments liée à ces inno­va­tions. La station des Frégates, au nord de la baie du Mont Saint-Michel, s’est lancée la première avec un système amphi­bie sur une coque alumi­nium plus courte, sans boudins pneu­ma­tiques, qui est un peu moins convain­cant. La direc­tion de la SNSM a été prudente quand la ques­tion a été repo­sée par Port­sall. Mais l’am­phi­bie est main­te­nant une solu­tion prise très au sérieux, si les condi­tions locales l’au­to­risent. Ainsi, aux Frégates, atter­rir à marée haute sur la cale travers au vent ou au courant quand la roue avant touche mais pas encore les roues arrière n’est pas évident, témoignent à l’unis­son le président Hervé Dano et le patron David Leme­nuel.

Faut-il mettre la vedette au sec ?

La problé­ma­tique du canot de sauve­tage sans quai ne se limite pas aux embar­ca­tions rela­ti­ve­ment légères, semi-rigides ou vedettes légères en alumi­nium, que l’on peut mani­pu­ler avec un trac­teur et une remorque. Faute de port, certaines stations mettent d’im­po­santes vedettes au sec dans des abris grâce à un chariot sur rails. C’est, entre autres, le cas sur l’île d’Oues­sant (Finis­tère) ou à Goury (Coten­tin). D’autres ont fait le choix de s’en passer : les abris construits du temps des superbes canots compo­sés de plusieurs couches de lattes de « bois moulé » – très solides, mais n’ai­mant pas trop rester à l’eau – ne servent plus à leur usage premier. Ils ont souvent été trans­for­més en local à terre pour les sauve­teurs, voire en salle d’ex­po­si­tion des anciens canots pour les visi­teurs (Port­sall l’été, Barfleur, Étel, où l’an­cien canot est remonté par d’an­tiques bossoirs comme ceux qui permet­taient de mettre à l’eau les canots de sauve­tage sur les paque­bots).

Là où ils sont encore utili­sés, leur entre­tien et leur adap­ta­tion aux nouvelles géné­ra­tions de navires de sauve­tage sont très coûteux. Cas extrême, Trévi­gnon - Concar­neau, en face de l’ar­chi­pel des Glénan, où il faut tout démo­lir et recons­truire telle­ment l’abri s’est dégradé. Premières esti­ma­tions : 2,8 à 3,5 millions d’eu­ros hors taxes.

Alors, utiles ou pas, ces abris ? « Impos­sible de géné­ra­li­ser  », répond Olivier Stoss­kopf, nouveau direc­teur tech­nique adjoint de l’as­so­cia­tion, qui reprend ces dossiers. Tout dépend de la situa­tion locale. Pour vous expliquer, deux illus­tra­tions concrètes valent mieux que de longs discours.

Barfleur opte pour le mouillage

Comme Port­sall, Barfleur, à l’ex­tré­mité du Coten­tin, est une anse natu­relle proté­gée par une digue, dans une région à fortes marées. L’ac­tuel canot tous temps, au mouillage à l’in­té­rieur, était indis­po­nible la moitié du temps et sa quille souf­frait des échouages quoti­diens. La station devrait accueillir, en 2027 – si tout va bien –, un navire de sauve­tage hautu­rier de la nouvelle flotte SNSM. On a commencé par envi­sa­ger la restau­ra­tion et l’agran­dis­se­ment de la cale et de l’abri où trône l’an­cien canot en bois moulé, le Cres­tey et Sauvé, qui a assuré plus de quatre cents inter­ven­tions entre 1955 et 1997. Très coûteux, bien sûr.

Puis, fina­le­ment, la station a décidé de s’adap­ter diffé­rem­ment. Une rampe en béton a été prolon­gée de 20 mètres afin qu’un quad puisse mettre à l’eau un pneu­ma­tique de 5,50 mètres, grâce auquel les béné­voles rejoignent le canot, qui a désor­mais un mouillage à l’ex­té­rieur, derrière un îlet. « Il est abrité des tempêtes d’ouest et de sud-ouest, il faut juste le rentrer si le mauvais temps vient du nord ou du nord-est, ce qui est plus rare », explique le président de la station, Philippe Lukowski.

Au moment où vous lisez ce maga­zine, l’équi­page devrait béné­fi­cier aussi d’un nouveau local qui lui offrira la possi­bi­lité de s’équi­per pour la mer avant de monter dans l’an­nexe. Inci­dence non négli­geable de cette solu­tion, l’an­cien local est confirmé dans sa voca­tion patri­mo­niale. L’an­cien canot attire de nombreux visi­teurs, qui deviennent souvent de géné­reux dona­teurs.

L’in­dis­pen­sable cale de Plou­ma­nac’h

Situa­tion complè­te­ment diffé­rente à la pointe nord de la Bretagne nord, en face de l’ar­chi­pel des Sept îles, dans une zone mal pavée, pleine d’em­bûches pour la navi­ga­tion. « Le SNS 098 Président Toutain, canot temps de Plou­ma­nac’h, est stra­té­gique », souligne Benoît Duche­net, président de la station. À l’ouest, il faut aller jusqu’à l’île de Batz pour trou­ver un autre canot tous temps, à l’est jusqu’à Loguivy-de-la-Mer, en face de Bréhat. »

Or, pour être plei­ne­ment opéra­tion­nel, le canot a abso­lu­ment besoin de sa cale de mise à l’eau, de son chariot et de son abri. La situa­tion diffi­cile qu’a connue la station pendant des mois en est la preuve. Après de multiples déraille­ments du chariot sur la cale, qui a plus d’un siècle, il a fallu se replier sur le port de Plou­ma­nac’h, où le canot tous temps est au mouillage ; il est donc néces­saire de le rejoindre en annexe après s’être équipé dans le local de la station. Et le navire de sauve­tage, comme les autres, ne peut quit­ter le port que lorsqu’il y a suffi­sam­ment d’eau au-dessus du seuil construit pour rete­nir de l’eau dans le port à marée basse.

En temps normal, le canot est dispo­nible 95 % du temps. « Les marins qui ont voulu et obtenu l’abri et la cale donnant direc­te­ment sur la mer en 1912 ont su les posi­tion­ner idéa­le­ment, ce qui la rend prati­cable presque par tous les temps », explique Benoît Duche­net. Quand le bateau est mouillé dans le port, en revanche, la possi­bi­lité de faire appel aux sauve­teurs de Plou­ma­nac’h tombe à 60 % du temps et le délai d’ap­pa­reillage passe de vingt minutes à trois-quarts d’heure.

Pour remé­dier à cette situa­tion, tout le monde s’est impliqué : l’État, les instances natio­nales de la SNSM, la ville de Plou­ma­nac’h, chacun a fait ce qu’il pouvait pour finan­cer de gros travaux de remise en état (évalués à 600 000 € hors taxes), qui devraient être termi­nés au prin­temps. «  Il s’agit quand même de descendre et remon­ter un bateau de 20 tonnes sur un chariot de 10 tonnes avec une pente à 11% », précise Benoît Duche­net. Rails réins­tal­lés sur des traverses en béton, nouveau treuil, chariot conso­lidé et lesté… L’abri de Plou­ma­nac’h devrait être bien­tôt à nouveau 100 % opéra­tion­nel.

À Ploumanac'h (Côtes-d'Armor), le canot tous temps est mis à l'eau grâce à une cale
À Plou­ma­nac’h (Côtes-d’Ar­mor), le canot tous temps est mis à l’eau grâce à une cale, récem­ment prolon­gée pour être utili­sée quel que soit le niveau de la mer © SNSM

Les membres de la SNSM ne reculent devant aucun effort pour répondre aux alertes 365 jours par an, 24 heures sur 24, sur toutes les côtes. Mais, comme l’illustre parfai­te­ment le quoti­dien des béné­voles des stations sans port, ils ont besoin de struc­tures et de maté­riel adap­tés pour mener leur mission à bien. En plus de l’in­ves­tis­se­ment person­nel des Sauve­teurs en Mer, l’as­so­cia­tion compte plus que jamais sur la géné­ro­sité finan­cière des dona­teurs, des collec­ti­vi­tés locales et de l’État.

Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le maga­­­­­zine Sauve­­­­­tage n°163 (1er trimestre 2023)